Nous sommes tous
DES MANIPULATEURS
 
 
 
Nous influençons tous les jours les personnes que nous côtoyons, comme nous sommes tous les jours nous-mêmes influencés. Dissèquont ici quelques mécanismes de la décision pour mieux décrypter les techniques de manipulation dont nous faisons quotidiennement l’expérience. .. et que nous pratiquons régulièrement!
 
 
 
 
En 1972, une étude américaine s’est penchée sur une situation très banale. Imaginez vous dans la rue: vous avez besoin de quelques euros. Si vous formulez votre requête directement, seule une personne sur dix vous donnera une pièce. Mais si vous commencez par demander l’heure avant de demander de l’argent, il s’en trouvera quatre fois plus à vous venir en aide !
   
     
 
 
 
  Les « pièges de la décision »  
   
Depuis les années 50, de nombreuses expériences de psychologie sociale ont mis en lumière certains déterminants inconscients de nos décisions. Le premier d’entre eux est l’effet de persévération de la décision, qu’on pourra résumer ainsi : une décision initiale détermine le plus souvent nos décisions futures. Ce phénomène trouve une traduction quotidienne dans ce que les auteurs appellent la « dépense gâchée » : quand un individu a investi (du temps ou de l’argent) dans une ligne de conduite, il préfère s’y tenir même si des choix plus avantageux s’offrent à lui. On préférera par exemple finir un grand cru bouchonné plutôt que d’ouvrir une autre bouteille, meilleure mais moins chère. Cela vaut aussi pour une entreprise qui continue à financer à perte une diversification non rentable. Ou un salarié diplômé qui s’entête dans une carrière qui ne lui convient pas ! Celui qui ne fixe pas de limite à son investissement peut même se retrouver englué dans un « piège abscons », comme le joueur de roulette qui continue de miser tant qu’il n’a pas touché le jackpot.
 
 
 
  Connaître les stratégies... pour mieux les éviter    
 
Les expériences montrent qu’on persévère d’autant plus dans une décision qu’on a l’impression de l’avoir prise librement. Seuls nos actes nous engagent, énonce la théorie de l’engagement : une fois la décision prise, et quelles qu’aient été nos hésitations, nous aurons tendance à ne plus la remettre en cause - quitte à se faire piéger dans une « escalade d’engagement » (la guerre au Vietnam ou celle d'Irak, par exemple). Dès lors, une stratégie classique de manipulation consiste à obtenir un premier engagement, très librement consenti, et de compter sur la persévération de la décision pour obtenir plus : c’est la stratégie de l’amorçage.
   
 
 
 
strategie
  Quelques techniques classiques  
   
De nombreuses techniques reposent ainsi sur une mise en condition initiale de l’interlocuteur. La plus connue est celle du «pied dans la porte». Elle consiste à obtenir de son interlocuteur une première décision très peu coûteuse, « l’acte préparatoire », afin d’en obtenir ensuite de plus importantes. C’est par cette technique que deux chercheurs, en 1966, obtinrent de ménagères californiennes qu’elles posent dans leur jardin un grand panneau publicitaire de prévention routière. En formulant la requête directement, ils n’aboutissaient que dans 17 % des cas. Mais le taux de réussite a grimpé à 76 % lorsque, dans un premier temps, ils demandaient aux ménagères de coller une simple vignette sur leur pare-brise.
Autre technique en deux temps : la «porte au nez». Il s’agit cette fois de formuler d’abord une requête exorbitante, irréaliste, avant de se rabattre sur une proposition plus mesurée. Une technique bien connue des démarcheurs de l’humanitaire ou des directeurs négociant de nouveaux budgets. On se penchera enfin sur une technique plus fine : celle du « Mais-vous-êtes-libre-de ». Des expériences récentes montrent que vous avez nettement plus de chances d’obtenir quelque chose de quelqu’un si, en formulant votre requête, vous lui rappelez qu’il (ou elle) est tout à fait libre de refuser. Et cela marche aussi bien pour se faire prêter de l’argent que pour convaincre un ami de vous accompagner au cinéma !
 
 
 
  Théorie de l’engagement et stratégies d’amorçage    
 
« Nous sommes tous des manipulateurs », peut-on alors conclure. Ces techniques, nous les employons au quotidien, sans les avoir théorisées. Ainsi, connaître les stratégies de manipulation permettrait surtout... d’éviter d’être manipulés. Sur ce point, on retiendra quelques conseils basiques. Le plus important étant de savoir revenir sur une décision. Un conseil simple en apparence, mais souvent difficile à mettre en pratique. La seconde recommandation va dans le même sens : il faut savoir considérer deux décisions successives comme indépendantes. Le dernier conseil est dérangeant pour les cartésiens que nous sommes, mais il apparaît pourtant comme une sagesse à l'expérience: « Ne surestimons pas notre liberté ! Acceptons qu’il existe une part de manipulation (parfois d’automanipulation !) dans la plupart de nos actes. Et n’en appelons à notre liberté que pour les grandes décisions susceptibles d’infléchir le cours de notre existence. »
Nous voilà prévenus.
   
 
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