Pour la plupart des biographes Ninon de Lenclos
est peinte telle une femme de mauvaise vie ! Le lecteur moyen qui
ne s'est pas aventuré au-delà du dictionnaire la considérera de
la même manière. Un auteur dramatique ne pouvait pas tomber dans
cette vérité simpliste !
Ces idées reçues n'ont pas retenu toute mon attention, ces poncifs
ne m'ont d'aucune sorte convaincue ! Je n'ai pas voulu entrer dans
cette "logique" des choses ? les clichés appauvrissent
un théâtre qui se doit avant tout d'être original, recherché, exploré,
déroutant. Pour cela, Il m'a fallu pénétrer par une autre porte
afin de découvrir une facette de la personnalité de cette élégante.
Pour faire valoir d'autres mérites, il m'a semblé naturel d'aller
chercher ailleurs, d'exploiter des vérités intemporelles. Certes
Ninon de Lenclos fut la plus grande courtisane du XVII ème siècle
mais son histoire dépasse de beaucoup son inconstance en amour.
Elle ne fut pas une femme ordinaire, nullement vénale, sa personnalité
rimait avec probité. Ses pensées spirituelles, son entendement philosophique
sur la vie et l'amour sont hors du commun. Sa fidélité en amitié
est unique, secourant ses amis de crédits et d'écus, gardant des
sommes d'argent et des secrets qu'on lui confiait.
Voilà la véritable réputation de Ninon ! Son discours prend incontestablement
le pas sur sa conduite sexuelle. Afin de se perdre dans le raffinement
de la sensualité, elle excella dans l'art de se faire aimer. Il
lui fallait aimer avant que de naître à cette émotion, désirer avant
que d'entreprendre tant de sensations. La petite mort ne fut pas
une fin en elle mais bien l'aboutissement à une véritable séduction.
J'ai voulu présenter une Ninon qui fait de l'amour une science,
perce les secrets et les ouvre à tous les échanges. J'ai aimé cette
âme abondante, j'ai analysé ses émotions intelligibles, ce self-contrôle
qui dénote tout, un pouvoir ultime et magique. J'ai vu une volupté
immaculée, je n'ai rien vu d'infâme, toutes ignominies de la part
de certains me dérangent et m'exaspèrent. Que pouvait donc faire
un cur battant à tout rompre poursuivi par un corps de ses
assiduités ? Cette élégante ne devait sa vertu à personne ! Sa liberté
fait jaser, son esprit l'élève au-dessus de tout, tout le monde
la respecte, sa légende est éternelle. Saint-Simon parle de réputation
et de considération singulière. J'ai choisi une Ninon de Lenclos
quinquagénaire et philosophe amoureuse de l'amour et des hommes.
Je l'ai choisie à l'automne de sa vie, au 36 rue des Tournelles
où tout le monde se pressait pour la voir et l'écouter.
Louis XIV l'admirait, il recevait des échos de tous ceux qui sortaient
de son salon. Il aimait à dire : " Comment se porte sa Majesté
du Marais ". A travers les grandes qualités d'une femme singulière
et les jolis défauts d'une grande demoiselle, j'ai voulu rendre
hommage à tous les hommes en imaginant un moment de conversation
ludique entre femmes. Ce petit jeu n'est pas innocent : Ninon est
libre de ses conquêtes et fait l'amour sans s'en cacher. Toutes
ces femmes vivent dans le remord d'avoir aimé.
Cette histoire est une véritable création mais tant mieux si quelques-uns
se sont reconnus. Ce récit est la profonde conviction que je porte
en moi sur la vie, l'amour et le théâtre. La nécessité de rendre
vivant par les mots le reflet de personnes exceptionnelles qui ont
traversé notre histoire, me fascinant tellement par leur esprit
vivace et leurs écrits vivants. À aucun moment, vous les hommes
au masculin n'êtes trahis, dévalorisés, critiqués, bien au contraire,
prenez ici l'offrande que ces amoureuses vous tendent et recevez
un premier hommage car vous êtes la certitude que la vie sans vous
n'est rien sans vos regards et vos élans de générosité.
Alors puisque vous représentez mes plus belles émotions dans mes
plus voyages, je vous aime, parce que vos faiblesses vous perdent,
je vous estime. À travers vous, dans vos yeux, nous avons toutes
existé. Et puis quand vous vous envolez là où le vent souffle doucement,
il faut être de marbre pour ne pas vous rattraper. Toutes les femmes
qui n'ont pas appris à voler, mais à s'épancher tendrement dans
vos bras devraient croiser votre chemin et vous ouvrir leur destinée.
|