Boite d’épingles

DSC00578Je le vois ramasser ses épingles, qu’il trie consciencieusement, une à une, avant de les ranger dans des petites boites séparées. Encore un de ses petits jeux en solitaire, j’imagine.
Moi, pour l’instant, je ne bouge pas, je ne dis rien, je le laisse faire. À peine si je remue les oreilles pour ne pas faire de courants d’air. Ce sera tellement plus rigolo quand les boites seront pleines.


(…) Déjà quarante minutes qu’il tire la langue, rivé à son ouvrage, c’est fou la tension qu’il y met. Je sens qu’on doit approcher du final: je m’échauffe lentement. Mais de l’intérieur, pour rester discrète. C’est à dire que je ne remue que le bout de la truffe et, un observateur averti pourrait voir vibrer mes vibrisses. Mais lui ne doit rien en voir puisqu’il me tourne le dos. Plus subite sera la surprise! Il semble fier d’ailleurs puisqu’il s’en vante auprès de Mouchodoit:
    – « Purée, presque une heure à trier ces saletés d’aiguilles, j’en ai ma claque. Enfin ça fera plus clean dans la boite à couture. »
Alors, c’est là que j’entre en scène. Je vous avais dis que je me tenais en arrière pour pas qu’il me voit. C’était aussi -et surtout- pour prendre mon élan et, dès qu’il s’est levé de sa chaise, pour m’élancer -gracieusement- du petit meuble à l’évier, puis sauter -acrobatiquement- jusqu’à la table pour y glisser -harmonieusement- sur tout le long de la nappe et emporter en bout de table et en un élégant mouvement, les petites boites qui, une à une, chutent au sol -mélodieusement- pour s’y renverser.

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C’est dommage personne n’avait enclenché la musique et il y manquait cette petite touche épique comme dans les séries américaines mais, croyez-moi que cela a tout de même produit son petit effet.
Personnellement, je trouvais ces centaines, que dis-je ces milliers de petites aiguilles dispersées sur le sol d’une beauté indéfinissable. Une œuvre digne d’être présentée dans une galerie ou un FRAC.
Mais, au lieu de se réjouir de cette fulgurance esthétique, de cette apparition aussi éphémère qu’informelle de l’Art Brut arraché au quotidien, au lieu de  s’émouvoir de l’irruption spontanée de la poésie fantastique dans sa petite réalité médiocre, je ne sais pourquoi il s’est mis à crier. Et cela n’avait rien d’un de ces cris libérateurs qui accompagnent parfois l’aboutissement d’un acte créatif. Non, il disait:
 – « Mais merde, fais chier Crevette ! »
J’’sais pas pourquoi c’est toujours moi qui me fait engueuler !

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